Découvert en 1985 sous d’épais badigeons, le cycle mural du château de Cruet ornait à l’origine une pièce de réception située au premier étage. Pour bénéficier de conditions optimales de conservation, les peintures ont été déposées au Musée Savoisien - Musée d’histoire et des cultures de la Savoie à Chambéry. Grâce à une étroite collaboration avec cette institution, qui a fermé ses portes le temps d’un réaménagement complet, le Musée d’art et d’histoire a le privilège de présenter une importante partie de cette longue frise, qui se développait sur plus de quarante mètres au moment de sa création.

Ce cycle constitue le noyau de l’exposition, conçue à partir des thèmes développés dans les peintures. De grandes dimensions (2 mètres de hauteur sur une largeur variant de 1,30 à 4,50 mètres), les huit panneaux les mieux conservés de la série de douze sont montrés pour la première fois conformément à leur disposition d’origine dans "l’aula" ou salle d’apparat du château savoyard. 

Le parcours de l’exposition s’organise ensuite suivant les différents sujets représentés : les chevaliers, les activités de la noblesse telles la chasse et les jeux, l’idéal courtois, les châteaux forts. Mises en relation avec des oeuvres et des objets qui sont, dans leur grande majorité, contemporains du cycle, les scènes peintes prennent vie. Manuscrits enluminés, armes et armures, sculptures, textiles, peintures et objets précieux évoquent ainsi les moments forts d’une vie de chevalier. Rassemblant des pièces du Musée d’art et d’histoire de Genève et des prêts provenant de musées suisses (Bâle, Fribourg, Lausanne, Sion, Zurich…), français (Annecy, Besançon, Chambéry, Grenoble…) et italiens (Turin, Aoste…), cette sélection se distingue par l’origine des objets présentés. Tous sont issus de la même région que l’ensemble de Cruet, vaste territoire dominé au XIVe siècle principalement par les comtes de Genève et de Savoie, qui s’étend au pied des Alpes, du lac de Neuchâtel à la vallée de l’Isère.

 

Parcours de l’exposition

Commençant avec le cycle de Cruet, le parcours s'articule ensuite en cinq parties, qui reprennent chacune les thèmes illustrés dans le décor mural. Le public est ainsi invité à faire le lien entre les scènes peintes et les oeuvres qui les accompagnent.

Équipements militaires

D’exceptionnelles pièces d’armement datant du XIVe siècle font écho aux scènes de siège et de combats. Une cotte de mailles provenant du Musée historique de Bâle, un casque du Musée d’histoire du Valais, ainsi que des éperons du Musée archéologique d’Aoste comptent parmi les rares éléments d’armement de cette époque parvenus jusqu’à nous. L’armure se composait alors d’une cotte de mailles et de plaques de métal, d’un casque, des armes (épées, dagues, lances, haches) et d’un bouclier. Aux XIIIe et XIVe siècles, l’accession au rang de chevalier ne va pas de soi et le coût de l’armement reste un obstacle. L’acquisition, l’entretien et le renouvellement de l’équipement militaire, l’achat, la nourriture et le harnachement des montures (chevaux de combat, de voyage et de transport) et l’emploi d’aides (pages et valets) représentent un investissement considérable.

L’idéal chevaleresque

La deuxième partie aborde la chevalerie et ses représentations, oscillant entre réalité et idéal. La chevalerie incarne les valeurs maîtresses du monde féodal qui repose notamment sur des liens de fidélité et de devoirs réciproques entre le suzerain et ses vassaux. L’éthique chevaleresque s’impose en idéal, exalté dès le XIIe siècle par la littérature, et triomphe au cours du XIVe siècle, au moment où la chevalerie décline pourtant en tant qu’institution. Les récits romanesques et épiques prônent les vertus de prouesse, loyauté, largesse et courtoisie. Cet idéal chevaleresque se trouve dès les années 1300 au centre de nombreuses représentations. Le chevalier Jacques de Montricher (mort en 1336) a été immortalisé par une statue en ronde bosse, qui est, par ses dimensions, sa polychromie conservée et sa qualité artistique, l’un des plus remarquables témoins régionaux des effigies en armure. Cinq manuscrits enluminés de la Bibliothèque royale de Turin, qui ont probablement appartenu aux comtes de Savoie, attestent du goût pour la littérature épique. Également issu des collections médiévales des Savoie, un précieux aquamanile en métal figure un cavalier et sa monture. Lors des nombreux banquets médiévaux, les aquamaniles permettaient les ablutions, en particulier le lavage des mains. Se diffusant au cours du XIIIe siècle dans le monde profane, ces récipients creux, munis d’une anse et terminés par un goulot, contenaient, comme leur nom l’indique, de l’eau ("aqua", eau, et "manus", main). Les plus prestigieux représentaient des chevaliers et étaient réalisés en particulier dans les vallées de la Meuse et du Rhin, comme l’exemple de Turin. Un olifant orné de bandeaux métalliques ouvragés, conservé dans l’église Saint-Jacques de Sallanches, provient lui aussi de cette région. Grand cor d’ivoire taillé dans une défense d’éléphant, l’olifant est utilisé généralement à la guerre ou à la chasse (visible dans la scène de Cruet) et est souvent l’instrument d’un chef ou de ses acolytes. Celui de Sallanches a probablement être importé en Savoie dès le Moyen Âge, tout comme l’aquamanile de Turin. Ces deux objets mettent en évidence les liens étroits, matrimoniaux et politiques, que les comtes et comtesses de Savoie ont entretenus avec l’Europe du Nord.

Loisirs et jeux

Sont ici évoquées les activités auxquelles se consacrent les chevaliers, les seigneurs et leur cour. En premier lieu, la chasse et la fauconnerie, pratiquées tant par les hommes que par les femmes, constituent un passe-temps de luxe. La fauconnerie emploie des oiseaux de haut vol qui tournoient au-dessus du chasseur et fondent sur les proies dès que celles-ci ont été débusquées par des rabatteurs ou des chiens. Du XIIIe au XVIe siècle, nombre d’oeuvres rendent compte de cette passion dévorante des nobles, en particulier dans les Alpes, illustrée ici par un grelot gravé aux armes et à la devise d’Humbert le Bâtard de Savoie (1377-1443), que l’on accrochait aux pattes des faucons. Deux traités de chasse enluminés décrivent aussi cette pratique : le fameux "Livre de la chasse" que Gaston Phébus rédige au XIVe siècle et le "Livre de l’art de chasser aux oiseaux", dont les exemplaires présentés sont décorés par le même artiste. Des pièces rares laissent ensuite imaginer l’importance que le jeu tient au Moyen Âge, notamment dans les châteaux ou dans les campements militaires. Instruments de formation à la stratégie de guerre et l’un des divertissements les plus prisés, les échecs renvoient à l’organisation féodale, passionnent les hommes et les femmes et s’apprennent dès l’enfance. Des pions sculptés en ivoire ou en bois sont exposés à côté de pièces plus usuelles, découvertes lors de récentes fouilles archéologiques, effectuées sur plusieurs sites castraux de la région.

La courtoisie

L’idéal courtois imprègne fortement la société aristocratique de la fin du Moyen Âge. La "courtoisie" est un art de vivre qui repose sur les valeurs chevaleresques de loyauté, de courage et de générosité. Il promeut un idéal de raffinement et se traduit par une nouvelle conception des rapports amoureux. Célébré d’abord par la littérature, l’amour courtois fait ensuite son apparition sur nombre d’oeuvres, tels des coffrets d’amour, offerts à l’occasion de mariages, et plusieurs objets précieux, dont deux valves de miroir en ivoire qui, selon toute vraisemblance, ont appartenu aux comtes de Savoie.

Châteaux fort

La fin du parcours est consacrée aux châteaux forts. Forteresses ou résidences, maisons fortes aux dimensions plus réduites, ou encore simples "bâties" construites en bois et en terre pour la garnison couvrent le territoire médiéval. Il est en effet difficile d’imaginer la multitude et la diversité des constructions fortifiées de l’époque, aujourd’hui disparues ou en ruines. Afin de donner une vision de cette variété et de mettre en lumière les dernières découvertes des archéologues et des historiens, quelques exemples sont présentés à l’aide de reconstitutions 3D, auxquelles s’ajoutent des images plus anciennes : les deux châteaux des Allinges (Haute-Savoie), rivaux mais construits à proximité l’un de l’autre sur une large avancée rocheuse, le château épiscopal de Jussy (Genève) et celui de Rouelbeau (Meinier, Genève). Archéologues et historiens achèvent cette année les importantes fouilles et les recherches documentaires de ce dernier, qui a été construit dès la fin du XIIIe siècle. Dans le catalogue, le film diffusé dans l’exposition et lors de visites, les auteurs de ces études font part du dernier état de leurs connaissances. Enfin, le décor sculpté de la Maison Tavel à Genève, qui est reconstruite en 1334 et que deux tours cantonnent, illustre parfaitement le type de la demeure fortifiée en milieu urbain, présentant souvent une ornementation extérieure.

 

Le cycle de Cruet


Datées du début du XIVe siècle, les peintures murales médiévales du château de la Rive, situé dans la commune de Cruet en Savoie, forment un cycle chevaleresque. À l’origine, elles se trouvaient au premier étage, dans la pièce d’apparat et de réception du château qu’habitaient les seigneurs de Verdon. Ce long cycle se déroulait sur une longueur d’environ 44 mètres et les personnages étaient presque à échelle humaine. Ces peintures ont été découvertes en 1985, à la suite du réaménagement du château. À une époque inconnue, un plancher a été posé, coupant les décors à mi-hauteur. Seule leur partie haute a pu être préservée. La source écrite à l’origine de ces peintures a récemment été identifiée. Il s’agit de la chanson de geste intitulée "Girart de Vienne" qui raconte le conflit entre l’empereur Charlemagne et l’un de ses vassaux, Girart de Vienne. Les peintures de Cruet ont une portée politique. En effet, lors de la longue guerre de succession du Dauphiné, qui oppose les dauphins de Viennois (alliés des comtes de Genève) aux comtes de Savoie de 1282 à 1355, les seigneurs de la région s’affrontent. Au moment où le seigneur de Verdon décide le décor de sa salle d’apparat, cette guerre, certainement néfaste aux petits seigneurs locaux qui vivent du revenu de leurs terres, dure depuis de nombreuses années et appauvrit la région. Le cycle peint, qui se termine par l’achèvement des combats, signifie sans doute que le seigneur du château désire la fin de cette guerre nuisible et espère une paix durable.

 

III. Médiation culturelle autour de l’exposition

Relatant l’épopée de Charlemagne suivant la succession des scènes peintes, un audioguide permet de démêler l’intrigue et de s’immerger dans le monde foisonnant de la littérature épique médiévale. Si les peintures murales du château de Cruet et les oeuvres qui leur font écho permettent de montrer la richesse d’une société disparue, elles interpellent aussi les enfants en s’adressant directement à leur imaginaire. Le jeu "Le dragon qui voulait devenir chevalier", disponible via l’application ludique Geologix et directement téléchargeable sur smartphone, les fait plonger dans l’univers chevaleresque du Moyen Âge en compagnie de Drago le dragon.